Un soir de
décembre, le jeune Thomas déclara à sa famille recomposée et
décomposée par ses propos:
« Je ne veux pas de nouveaux
jouets cette année, mais de nouvelles expériences ! »
Ce
malin petit bonhomme qui grandissait trop vite, son maillot devenu
court sur son nombril en escargot, allait changer la destinée de pas
mal de gens cette année-là.
Car Noël
s'annonça une nouvelle fois dans cette bourgade du nord prospère et
presque heureuse, dont les rues illuminées étalaient les richesses
de ses magasins. Tels des papillons de nuit, ses habitants vêtus de
chaudes couleurs y affluaient et se targuaient de pouvoir s’offrir
ce qu’ils voulaient. Attirés par la chaleur bienvenue des
commerces, enjoués par les musiques et la beauté des marchandises,
ils en oubliaient presque le froid de l'hiver et le labeur accumulé
durant toute l'année.
De la joie ?
Bien sûr. Comment décrire ce sentiment fugace?
Ses braves
citoyens étaient des travailleurs honnêtes, leurs pensées allaient
pour leurs proches, leurs amis, leurs enfants et même pour les
habitants moins favorisés de l'autre bout du monde. Toutefois, à
cette saison un son agaçant se faisait toujours entendre. Un son
indescriptible pour ceux qui n'ont pas vécu là-bas. Il ne provenait
d'aucun instrument en particulier et n'était joué par aucun
musicien. Il émanait de nulle part et pouvait se résumer à ceci :
« achetez la joie! »
Ainsi
ironisaient certains:
« Entre Noël - Sors la Poubelle !
Chaque année, on jette le sapin et ses décorations, les emballages,
les restes de repas, et quelques jours plus tard, suivent les vieux
jouets et DVD, les habits démodés, les objets qu'on ne veut plus,
même les équipements électroniques ne sont plus à jour et doivent
être remplacés. »
Toutefois,
tout comme Thomas, un collectif de citoyens bien pensants s’était
scandalisé :
« Faisons quelque chose, inventons des Pères
Noël à l’envers ! »
« C'est-à-dire ? »
« Des
Pères Noël qui viendraient ramasser les choses au lieu d’en
distribuer et qui les redonneraient à ceux qui en auraient besoin. »
Cette
initiative vint aux oreilles de la famille du petit Thomas, mais
aussi par des logiciels espions, à celles d’un capitaine
d’industrie. Perfide, ce dernier décida de contre-attaquer. Après
tout, il ne voyait pas d’alternative à la joie de la
consommation : « Nous allons tout faire pour mettre ces
Papas Poubelle hors la loi, on va les accuser de vol et de recel et
ils passeront le 25 décembre en prison ! »
Quelques
jours avant les fêtes, l'industriel avait mis sa menace à
exécution. Les policiers allaient arrêter les bénévoles qui
transportaient des objets offerts par les familles engagées dans ce
projet de redistribution. Comme nous
étions dans un soirée spéciale, un ange dénommé Thomas avait
fait appel à ses camarades, et ils changèrent de stratégies:
« Transformons Noël en une expérience conviviale, et
demandons aux petits commerces de mettre à disposition leurs
échoppes pour accueillir une sorte de marché au troc. Leur
participation serait signalée par une écharpe rouge. »
On pouvait y
apporter et emporter ce qu’on voulait. Ainsi, tout enfant pouvait
donner par exemple des pommes et recevoir une console vidéo. Les gens
échangèrent des choses chères contre des livres, des fruits et des
légumes frais, et des services comme une coupe de cheveux, ou un
cours de yoga. Tout ça dans la joie et la convivialité ! Le
capitaine d’industrie n’y revenait pas :
« C’est
la catastrophe, plus personne ne viendra acheter mes jouets neufs,
sans la consommation, l’économie ne tournera plus ! »
« Rassurez
vous, lui susurra Thomas, lui-même inspiré de ses parents,
l’économie tournera toujours mais différemment, une économie de
troc et d’échange, qui permettra de limiter la surproduction et
son poids sur l’environnement. »
Sur ces
mots, le capitaine d’industrie échangea sa montre de luxe contre
des biscuits en forme de coeur et s’en alla.