lundi 23 décembre 2019

Noël se renouvelle


Un soir de décembre, le jeune Thomas déclara à sa famille recomposée et décomposée par ses propos: 

« Je ne veux pas de nouveaux jouets cette année, mais de nouvelles expériences ! » 

Ce malin petit bonhomme qui grandissait trop vite, son maillot devenu court sur son nombril en escargot, allait changer la destinée de pas mal de gens cette année-là.

Car Noël s'annonça une nouvelle fois dans cette bourgade du nord prospère et presque heureuse, dont les rues illuminées étalaient les richesses de ses magasins. Tels des papillons de nuit, ses habitants vêtus de chaudes couleurs y affluaient et se targuaient de pouvoir s’offrir ce qu’ils voulaient. Attirés par la chaleur bienvenue des commerces, enjoués par les musiques et la beauté des marchandises, ils en oubliaient presque le froid de l'hiver et le labeur accumulé durant toute l'année.

De la joie ? Bien sûr. Comment décrire ce sentiment fugace?

Ses braves citoyens étaient des travailleurs honnêtes, leurs pensées allaient pour leurs proches, leurs amis, leurs enfants et même pour les habitants moins favorisés de l'autre bout du monde. Toutefois, à cette saison un son agaçant se faisait toujours entendre. Un son indescriptible pour ceux qui n'ont pas vécu là-bas. Il ne provenait d'aucun instrument en particulier et n'était joué par aucun musicien. Il émanait de nulle part et pouvait se résumer à ceci : « achetez la joie! » 

Ainsi ironisaient certains: 

« Entre Noël - Sors la Poubelle ! Chaque année, on jette le sapin et ses décorations, les emballages, les restes de repas, et quelques jours plus tard, suivent les vieux jouets et DVD, les habits démodés, les objets qu'on ne veut plus, même les équipements électroniques ne sont plus à jour et doivent être remplacés. »

Toutefois, tout comme Thomas, un collectif de citoyens bien pensants s’était scandalisé : 

« Faisons quelque chose, inventons des Pères Noël à l’envers ! »

« C'est-à-dire ? »

« Des Pères Noël qui viendraient ramasser les choses au lieu d’en distribuer et qui les redonneraient à ceux qui en auraient besoin. »

Cette initiative vint aux oreilles de la famille du petit Thomas, mais aussi par des logiciels espions, à celles d’un capitaine d’industrie. Perfide, ce dernier décida de contre-attaquer. Après tout, il ne voyait pas d’alternative à la joie de la consommation : « Nous allons tout faire pour mettre ces Papas Poubelle hors la loi, on va les accuser de vol et de recel et ils passeront le 25 décembre en prison ! »

Quelques jours avant les fêtes, l'industriel avait mis sa menace à exécution. Les policiers allaient arrêter les bénévoles qui transportaient des objets offerts par les familles engagées dans ce projet de redistribution. Comme nous étions dans un soirée spéciale, un ange dénommé Thomas avait fait appel à ses camarades, et ils changèrent de stratégies: 

« Transformons Noël en une expérience conviviale, et demandons aux petits commerces de mettre à disposition leurs échoppes pour accueillir une sorte de marché au troc. Leur participation serait signalée par une écharpe rouge. »

On pouvait y apporter et emporter ce qu’on voulait. Ainsi, tout enfant pouvait donner par exemple des pommes et recevoir une console vidéo. Les gens échangèrent des choses chères contre des livres, des fruits et des légumes frais, et des services comme une coupe de cheveux, ou un cours de yoga. Tout ça dans la joie et la convivialité ! Le capitaine d’industrie n’y revenait pas :

« C’est la catastrophe, plus personne ne viendra acheter mes jouets neufs, sans la consommation, l’économie ne tournera plus ! »

« Rassurez vous, lui susurra Thomas, lui-même inspiré de ses parents, l’économie tournera toujours mais différemment, une économie de troc et d’échange, qui permettra de limiter la surproduction et son poids sur l’environnement. »

Sur ces mots, le capitaine d’industrie échangea sa montre de luxe contre des biscuits en forme de coeur et s’en alla.